« Seules des femmes travaillent ici et nous ne sommes pas là aujourd’hui » : l’Islande face à une grève féministe historique

Pour la première fois depuis 1975, toutes les femmes et personnes non-binaires étaient invitées à cesser toute activité salariée ou domestique, afin de dénoncer les inégalités salariales ainsi que les violences sexistes et sexuelles.

Un immense rassemblement a notamment eu lieu à 14 heures en plein cœur de Reykjavik. AP Photo/Arni Torfason
Un immense rassemblement a notamment eu lieu à 14 heures en plein cœur de Reykjavik. AP Photo/Arni Torfason

« Tu appelles ça l’égalité ? » Derrière le slogan « Kallarðu þetta jafnrétti ? », des milliers d’Islandaises ont fait grève ce mardi pour dénoncer les inégalités salariales ainsi que les violences sexistes et sexuelles.

Un immense rassemblement a notamment eu lieu à 14 heures en plein cœur de Reykjavik : « Nous exigeons de l’action et du changement ! Maintenant ! », se sont écriées les militantes. La colline d’Arnarhóll, où se déroulent régulièrement les événements publics, était « pleine à craquer » souligne le journal Morgunblaðið. Des manifestations et des réunions se sont également tenues dans tout le pays.

Deux chiffres concentraient les revendications des manifestantes : « Au moins 40 % des femmes ont été victimes de violences physiques ou sexuelles à la maison ou au travail au cours de leur vie », et les femmes ont encore « des revenus inférieurs en moyenne de 21 % à ceux des hommes », a détaillé le quotidien.

La classe politique islandaise mobilisée

Parmi les femmes mobilisées, la Première ministre islandaise Katrín Jakobsdóttir, qui avait elle aussi décidé de faire grève tout comme Guðrún Hafsteinsdóttir, ministre de la Justice.

Rues fermées à la circulation, carte des modifications routières publiées sur les réseaux sociaux… Tout était prévu pour que les femmes soient réunies en masse dans les rues de Reykjavik. La session parlementaire qui devait avoir lieu a également été ajournée, après s’être brièvement tenue en présence de moins d’une dizaine d’élus, tous masculins.

La grève a également été respectée au sein de la résidence présidentielle islandaise, a fait savoir la présidence sur Facebook. Pays parmi les plus avancés au monde en matière d’égalité, l’Islande ne veut pas se contenter de ce statut. « Beaucoup de choses se sont améliorées (…), mais il y a encore du travail à faire en ce qui concerne la lutte pour des droits humains évidents et les valeurs démocratiques », a ajouté la présidence.

Invitée de la radio RÁS 1 ce mardi matin, la Première ministre n’a pas été interviewée par la journaliste habituelle, en grève. À sa place, c’est l’animateur radio qui a pris le relais, au pied levé. Elle a notamment annoncé l’octroi de 10 millions de couronnes islandaises (environ 68 000 euros) à six associations qui luttent pour l’égalité et les droits des femmes.

Un mouvement lancé en 1975

Cette journée puise son origine dans une grève historique des femmes qui avait eu lieu le 24 octobre 1975. Ce jour-là, 90 % des Islandaises avaient refusé de travailler pour souligner « le travail indispensable des femmes dans la société et l’économie islandaise ».

Le but ? Montrer que sans les femmes, la société ne pouvait pas fonctionner et que leur travail devait être reconnu à sa juste valeur, alors qu’elles ne gagnaient que 60 % du salaire d’un homme à poste équivalent en moyenne. Ce mouvement a été le point de départ d’une véritable prise de conscience dans la société islandaise et une loi pour garantir l’égalité salariale a été votée l’année suivante.

Depuis, le mouvement avait été célébré en 1985, 2005, 2010, 2016 et 2018. Mais les femmes n’avaient pas fait grève toute la journée, elles avaient plutôt arrêté de travailler à une heure précise, qui évoluait en fonction de l’avancée de leurs droits. Cette nouvelle mobilisation en 2023 marquait ainsi une grève inédite depuis 48 ans, de minuit à minuit.

Pas d’école, pas de télé et très peu de bus

Dans les médias islandais, de nombreux articles sur les services fermés ce mardi fleurissaient depuis la veille. Car les Islandaises n’ont pas fait les choses à moitié : pas d’école dans les 59 maternelles du pays. Seuls quelques établissements accueillaient des enfants, dans la limite du personnel masculin disponible.

Les banques, piscines et bureaux administratifs étaient pour la plupart fermés, tandis que les transports publics fonctionnaient en dégradé, avec des interruptions de services dès 16 heures. Dans les hôpitaux et cliniques, seules les urgences étaient assurées. Et au sein du personnel soignant essentiel, de nombreuses femmes ont posé avec des pancartes « #ómissandi », « indispensable », pour signifier leur soutien à la grève malgré leur activité toujours en cours.

ÓMISSANDI KONUR Á SKILUNARDEILD Skilunardeild Landspítala er við Hringbraut. Þangað þarf að koma vegna blóðskilunar...

Posted by Landspítali on Tuesday, October 24, 2023

À Kópavogur, commune limitrophe du sud de Reykjavik, le répondeur de la bibliothèque a été modifié pour la journée : « Vous avez pris contact avec la bibliothèque de Kópavogur. Seules des femmes travaillent ici et nous ne sommes pas là aujourd’hui. » À la télévision publique RÚV, les Islandais pouvaient voir des informations défiler sur fond de musique, avant une retransmission du rassemblement à Reykjavik.

En France, même si aucune grève n’est prévue, l’association féministe « Les Glorieuses » a profité de l’occasion pour annoncer sa mobilisation annuelle le 6 novembre, à 11h25, heure à laquelle les femmes commenceront à travailler gratuitement jusqu’à la fin de l’année.