« On vit une accumulation de crises » : la santé mentale des étudiants ne s’améliore pas

Après la pandémie de Covid, de nombreux jeunes sont toujours en situation de détresse psychologique. Prise en charge, prévention... les associations et institutions tentent de faire baisser les chiffres.

Troubles de l’humeur, idées et gestes suicidaires… Les recours aux soins d’urgence pour ces motifs se sont poursuivis de façon marquée en 2023 pour les 18-24 ans. (Illustration)
Troubles de l’humeur, idées et gestes suicidaires… Les recours aux soins d’urgence pour ces motifs se sont poursuivis de façon marquée en 2023 pour les 18-24 ans. (Illustration)

« Nos données corroborent ce que l’on voit sur le terrain : la santé mentale des étudiants ne va pas mieux depuis le Covid, bien au contraire », constate Christophe Tzourio, professeur d’épidémiologie et directeur du Service de Santé (SSU) de l’Université de Bordeaux jusqu’à la rentrée 2023. « Les psychologues et les psychiatres des CHU et SSU nous remontent une demande qui s’est intensifiée, avec des cas de souffrance psychique de plus en plus complexes », poursuit le spécialiste de la santé des jeunes.

En 2021 au sortir de la pandémie de Covid-19, le monde s’était alerté d’un chiffre inquiétant : au moins un jeune sur cinq âgé de 18 à 24 ans était « concerné par la dépression », selon Santé publique France. Les chiffres récoltés par Christophe Tzourio et sa collègue Mélissa Macalli, postdoctorante spécialisée dans la santé mentale des jeunes et chercheuse à l’Inserm, sont encore plus alarmants. Depuis une dizaine d’années, ils ont mené plusieurs études de profondeur sur la psychologie des étudiants bordelais, auxquels plus de 20 000 jeunes ont participé en tout. « Avant le Covid, 25 % d’entre eux montraient des symptômes de dépression. Sur l’année 2022-2023, 43 % des étudiants étaient concernés » selon leur dernière étude « Prisme » menée auprès de 2000 jeunes, expose Mélissa Macalli.

43
%
des étudiants se disent concernés par des symptômes de dépression
Enquête Prisme

Si les chiffres diffèrent, les observations de Santé publique France confirment la tendance. « Troubles de l’humeur, idées et gestes suicidaires… Les recours aux soins d’urgence pour ces motifs ont fortement augmenté en 2021 puis 2022, et se sont poursuivis de façon marquée en 2023 pour les 18-24 ans » explique Ingrid Gillaizeau, responsable de l’unité Santé mentale au sein de l’agence nationale. D’autres indicateurs viennent illustrer la dégringolade du bien-être chez une partie de la population étudiante.

Le dernier des points « Coviprev » – lancés après la pandémie et réalisés sur des échantillons de 2000 volontaires – publié en janvier 2023, indique l’anxiété atteint 43 % des 18-24 ans ayant répondu, et les pensées suicidaires concernent un quart d’entre eux. La ligne d’écoute Nightline, qui propose aux étudiants une discussion gratuite en cas d’anxiété, de solitude ou de déprime 24/24, observe la même dynamique. « Le nombre d’appels monte constamment depuis notre création en 2017″ ajoute l’association : environ 20 000 appels ont été reçus en 2022-2023, contre 14 000 l’année précédente.

« 70 % disent se sentir souvent ou très souvent seuls. Un quart disaient se sentir tout le temps très seuls »

Après les confinements, on avait attribué cette explosion du mal-être chez les jeunes à l’extrême anormalité de la période de pandémie mondiale, qui avait brouillé de nombreux repères, fait peser la peur de la contamination sur les épaules des jeunes, et renforcé les effets de la précarité tandis que les jobs étudiants disparaissaient. Trois ans plus tard, comment expliquer cette situation encore plus critique ? « On a des hypothèses, mais pas de consensus » indique Ingrid Gillaizeau.

Pour Aude Caria, directrice de Psycom, organisme public d’information sur la santé mentale et de lutte contre la stigmatisation, d’autres facteurs viennent peser sur la santé mentale globale de la population. « On vit une accumulation de crises, sanitaire, puis géopolitique avec l’Ukraine et désormais Israël, mais aussi économique et climatique, qui rendent difficile le fait de se projeter dans un avenir paisible, encore plus chez les jeunes qui sont très exposés à des images parfois extrêmement violentes sur les réseaux, qui créent à la fois un effet d’addiction et de sidération », juge la psychologue.

Des chiffres à relativiser néanmoins, car ils pourraient être biaisés par un facteur plutôt positif. « On parle aussi plus facilement aujourd’hui de sa santé mentale aussi, car on vit depuis quelques années une prise de conscience collective, qui a notamment fait bouger le tabou pour les jeunes. Les réseaux permettent aussi des témoignages, ou du relais par la pop culture, dans la musique, l’art, le sport… On l’a vu avec des jeunes sportives comme Naomie Osaka ou Simone Bail, qui parlent de leur état mental », souligne Aude Caria.

Les restes de la pandémie et du confinement ne sont néanmoins pas anodins, selon les spécialistes de l’université de Bordeaux. « Même si on est revenus à un mode de fonctionnement normal dans les universités, ce qui ressort énormément c’est un retour au contact social qui demeure très difficile, et un profond sentiment de solitude », explique Mélissa Macalli. Parmi les interrogés, « 70 % disent se sentir souvent ou très souvent seuls. Un quart disaient se sentir tout le temps très seul ».

Une constellation d’outils pour prendre soin de sa santé mentale

Face à ces chiffres peu encourageants, les acteurs de la santé mentale misent tout cette année sur des campagnes qui se concentrent sur la prévention et les gestes positifs. Car malgré l’ouverture progressive de la parole, « les jeunes de 18-24 ans se préoccupent en moyenne moins de leur santé mentale ou de leur bien-être que leurs aînés », rappelle l’agence nationale dans un communiqué en cette rentrée 2023. Santé publique France publie notamment sur les réseaux (Youtube, Instagram, Facebook…) une série de vidéos-conseils « le Fild-Good » pour « agir positivement sur sa santé mentale », tournés autour de l’activité physique, des activités sociales et de l’aide à l’autre, du sommeil ou encore de la gratitude.



« On a le constat. Maintenant, il est important d’informer sur ce que l’on peut faire pour prendre soin de soi et sur les recours disponibles en cas de mal-être », appuie Ingrid Gillaizeau. Nightline lance quant à elle la campagne « Tête la première », qui réunit des témoignages et conseils de sportifs de haut niveau, pour lever le stigma autour du mal-être et prendre soin de sa tête grâce au sport.

« En termes de santé mentale, il n’y a pas de solution universelle, seulement des solutions complémentaires », commente Aude Caria. « La prise de conscience et la prise en charge sont un travail de longue haleine, mais on est en train de créer une constellation d’outils dont il faut que les jeunes se saisissent : le recours à un psychologue quand c’est nécessaire, les lignes de soutien communautaire avant d’en arriver là, mais aussi tous les gestes du quotidien qui permettent d’entretenir son bien-être », conclut-elle.

À l’université de Bordeaux, plusieurs outils avant-gardistes sont mis en place pour armer les étudiants et le personnel de connaissance face à cet enjeu de santé publique. « Nous encourageons à faire de la prévention très active. En menant l’étude « Prisme », nous avons proposé aux participants un outil pour leur faire prendre conscience de leur état de santé mentale : des bilans de santé psychique personnalisés, indicateur par indicateur, avec pour chaque étudiant des conseils de psychologie et des ressources locales adaptées », explique Christophe Tzourio.

Un franc succès : les étudiants de l’université souhaitent désormais en faire un outil de « checkup » mental récurrent. Plus de 1200 jeunes et enseignants ont également bénéficié de la formation de deux jours « soins en santé mentale » testée dans l’université de Bordeaux depuis la crise sanitaire.

Alors que le coût de la séance avec un psychologue est aussi cité comme l’un obstacles principaux pour les jeunes, le dispositif « Santé psy étudiant », qui permet leur permet de bénéficier de 8 séances remboursées avec un psychologue agréé après avoir obtenu l’ordonnance d’un médecin, avait une nouvelle fois été prolongé en 2023. Depuis 2021, plus de 260 000 séances ont été effectuées par 52 000 étudiants sur près de 3 millions. Insuffisant pour des associations comme Nightline, qui considèrent la nécessité de passer par un médecin généraliste comme un frein, et réclame toujours une « vraie stratégie nationale pour la santé mentale étudiante ».

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