Et là, dans un excrément fossilisé de hyène… de l’ADN de rhinocéros laineux !

Parce que l’ADN ancien se dégrade avec la chaleur, les sources manquaient en Europe pour retracer l’histoire de ce mammifère éteint. C’était sans compter sur le précieux étron.

Disparu il y a environ 10 000 ans,  le rhinocéros laineux a jadis été légion. On n’avait jamais, jusqu’à ce jour, pu exploiter l’ADN de spécimens européens. Photo Getty Images/Daniel Eskridge
Disparu il y a environ 10 000 ans, le rhinocéros laineux a jadis été légion. On n’avait jamais, jusqu’à ce jour, pu exploiter l’ADN de spécimens européens. Photo Getty Images/Daniel Eskridge

Avec son épaisse toison pour parer le froid, le rhinocéros laineux est, comme le mammouth laineux, une espèce emblématique de l’âge de glace. Disparu il y a environ 10 000 ans, pour des raisons qui demeurent obscures, il a jadis été légion : des restes de ce mammifère ont été exhumés en Europe comme au nord-est de la Sibérie.

Quel a été son parcours ? Quand a-t-il occupé chacune des deux régions situées aux extrémités de l’Eurasie ? Ce sont des énigmes auxquelles l’analyse de l’ADN offre aujourd’hui un début de résolution.

Non sans mal, pour les généticiens. Car si l’ADN ancien qui sommeille dans le sol glacé de l’Asie septentrionale est relativement bien préservé, il tolère très mal nos climats tempérés. Pour cette raison, on n’avait jamais, jusqu’à ce jour, pu exploiter l’ADN de rhinocéros laineux européens. Jusqu’à l’utilisation… d’excréments fossilisés de hyènes.

Dans une étude publiée mercredi dans la revue Biology Letters, l’équipe de Peter Seeber, de l’université de Constance, en Allemagne, raconte en effet avoir analysé des coprolithes (le nom donné à ces déjections qui ont traversé les âges) découverts dans deux grottes ultra-rhénanes.

Une « prouesse technique »

Hormis l’ADN de la hyène des cavernes, espèce disparue elle aussi, ils ont retrouvé celui du rhinocéros laineux, mets de choix pour cette cousine des félins, qui allait se révéler une riche source d’informations. Qui a dit que les petites bêtes ne mangeaient pas les grosses ?

« C’est une prouesse technique de faire la différence entre les différents types d’ADN, celui du prédateur et de ses proies, car la hyène avait consommé plusieurs espèces différentes, bu de l’eau dans laquelle il y avait des organismes, respiré des pollens… Cela faisait un tas d’informations génétiques. Réussir à les séparer, c’est une avancée très intéressante », salue Antigone Uzunidis, paléontologue à l’université d’Aix-Marseille.



Comme le souligne cette spécialiste, le coprolithe de hyène n’est pas un étron comme les autres pour qui enquête sur le lointain passé des animaux : « Ce carnivore mange des os qui vont être dissous par l’acide de son estomac et vont former une gangue qui va protéger les plus petits éléments à l’intérieur. » Ainsi ces excréments, et même les vomis fossilisés de hyènes, sont les meilleurs amis de l’ADN ancien.

Prudence sur l’interprétation

L’un des échantillons s’est révélé particulièrement instructif. Il a permis de recomposer pour la première fois le génome dit « mitochondrial » d’un rhinocéros laineux européen, une séquence ADN qui n’est transmise que par la mère et permet de remonter les lignées féminines jusqu’à l’origine des espèces.

Ainsi, l’étude suggère que le rhinocéros laineux européen et son homologue sibérien se sont séparés très tôt, il y a environ 450 000 ans. Or, les fossiles retrouvés en Europe semblent raconter la même histoire. « Leur modèle et leur interprétation matchent en effet bien avec les données de la paléontologie », commente Jean-Philip Brugal, directeur de recherche au CNRS, qui pointe toutefois un certain nombre de lacunes dans l’étude.

« Ce que ça peut vouloir dire, c’est que les rhinocéros ont pu s’adapter sur un temps long aux conditions environnementales changeantes de l’Europe », avance Antigone Uzunidis, qui évoque aussi des résultats préliminaires.

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Les auteurs de l’étude, eux-mêmes, mettent en garde contre toute surinterprétation de leurs analyses, certes prometteuses, mais obtenues au moyen d’un seul échantillon. Trouver du rhinocéros laineux dans un excrément de hyène n’était pas leur objectif initial. Comme nous l’explique Laura Epp, de l’université de Constance, ils attendaient avant tout des données ADN qu’elles leur permettent de faire de la « reconstruction environnementale », en devinant notamment quelles plantes poussaient là : « Nous terminons ce travail pour permettre une meilleure compréhension de l’environnement dans lequel évoluaient également les Néandertaliens de la région. »